mercredi 7 avril 2010

MACBETH (1971)

Avec Jon Finch, Francesca Annis, Martin Shaw, Terence Bayler, Nicholas Selby. Photographie de Gilbert Taylor. Scénario de Kenneth Tynan et Roman Polanski. Musique de The Third Ear Band. Produit par Playboy Productions, Caliban Films. Un film de Roman Polanski.

MACBETH
(1971)

L’Écosse du XIème Siècle. Macbeth et Banquo, généraux du Roi Duncan, viennent de remporter une bataille.Sur le chemin du retour, ils rencontrent des sorcières qui prédisent à Macbeth qu’il deviendra comte de Cawdor puis Roi d’Écosse, et à Banquo que ses fils règneront. Peu après, Macbeth est effectivement nommé comte de Cawdor. Sa jolie femme, Lady Macbeth, le pousse à briguer le trône. Macbeth assassine le Roi à coups de poignards, et ordonne l’assassinat de Banquo et de son fils Fléance...


Après la tuerie de Los Angeles, Roman Polanski a perdu toute envie de faire des films. Son ami Stanley Kubrick lui dit : "Tout le monde te conseille de te remettre à travailler, dans ton état actuel, c’est exclu mais il va arriver un moment où tout à coup tu te diras : "Il faut en sortir, il faut se remettre à quelque chose"." C’est ce qui se produit un jour, alors que plus aucun projet ne semble l’intéresser, même s’il caresse l’idée d’adapter Papillon, le livre d’Henri Charrière (projet qu’il préparait déjà avant l’assassinat de Sharon Tate). Il pense tout à coup à Shakespeare. Le désir d’adapter une pièce shakespearienne a grandi tôt chez Polanski, dès l’adolescence, sous l’influence du Hamlet de Lawrence Olivier. L’idée lui est revenue en 1970, à Gstaad où il se remet de sa tragédie personnelle.


Il entreprend l’adaptation au printemps 1970, et embauche Kenneth Tynan (critique dramatique anglais et directeur du National Theatre) pour collaborer au scénario et être son conseiller artistique. Comme l’œuvre originale n’indique pas l’âge des Macbeth, Polanski décide avec l’appui de Tynan d’opter pour des acteurs jeunes. Jon Finch a vingt-huit ans au moment du tournage, et le visage angélique de Francesca Annis, vingt-quatre ans, devient celui de la Lady Macbeth. Outre le fait d’être plus vraisemblable, ce choix est bien réfléchi : jeunes et aveuglés par leur amour, il est plus crédible qu'ils s’illusionnent autant à la possibilité de conquérir le Monde, qu’à leur capacité d’assumer un meurtre. Jon Finch a été engagé par Polanski quelques jours seulement avant le début du tournage, après une rencontre de hasard dans un avion. Malgré le manque de répétitions, les acteurs sont très bons, le jeu jamais grandiloquent. Le traitement des monologues par Polanski est particulièrement habile : dans le même plan, un personnage soliloque et tantôt c’est l’acteur qui parle, tantôt on l’entend en off.


Le choix de Macbeth par Polanski n’est pas étonnant. Le Monde où se situe la pièce n’est pas étranger au réalisateur, et ce, depuis l’enfance. C’est un lieu de cruauté délibérée, d’embuscades, de morts imprévisibles, de tyrannie sanguinaire, de revanche non seulement contre des ennemis mais aussi contre la famille. Polanski n’adhère pas à l’avis émis par la plupart des critiques, selon lesquels c’est un film cathartique. Il prétexte que la violence existe déjà dans la pièce, et qu’il s’agit ici de cinéma et non de théâtre : "Macbeth ne peut pas disparaître derrière une porte et revenir avec les mains tâchées de sang". En ce qui concerne les précédentes adaptations de Macbeth pour le Septième Art, par Orson Welles et Akira Kurosawa, et bien qu’il reconnaisse ces metteurs en scène comme ses maîtres, Roman Polanski n’est pas tendre. Selon lui, les pièces de Shakespeare ont toutes fait l’objet d’adaptations admirables exceptée celle-ci. Du Macbeth d’Orson Welles, il dit que c’est une tragédie de mauvaise qualité, un "égout plein de sorcières incestueuses". De fait, sa version diffère nettement de celles de ses deux prédécesseurs, trop théâtrales à son goût (par le décor hollywoodien chez Welles, et par la référence au Nô chez Kurosawa).


Les mouvements de caméra de Macbeth sont particulièrement savants et subtils, parvenant à souligner les intentions en étant techniquement virtuoses. La gestuelle des acteurs, comme les déplacements aériens et concentrés de la caméra, tissent un réseau complexe de similitudes à l’intérieur du film : par exemple lorsque Lady Macbeth descend les escaliers le pied léger mais la tête remplie de lourds desseins, le mouvement de la caméra redouble cette ambivalence. Ce déplacement en zigzag avec cadrage serré sur le personnage est repris plus tard, lorsque Macbeth descend ce même escalier vêtu de son armure. C’est sans doute le film où le sens du symbolisme de Polanski s’est le mieux exprimé, comme le montage parallèle de la fête, où l’ours est mis à mort, avec la scène du guet-apens contre Banquo suivie de l’expédition des hommes de main de Macbeth dans le cachot. Mais le film regorge tellement d’idées visuelles et sonores, et de trouvailles scénographiques, qu’il mériterait une analyse plus considérable.


Dans ses notes de travail, Tynan témoignera de la méticulosité et du soin considérables qu’apporte Polanski, notamment lorsqu’il lui torture l’esprit pour qu’il lui précise les finesses de l’anglais de Shakespeare. Le réalisateur se qualifie lui-même d’enculeur de mouches. Un jour, alors qu’ils tournent la scène du meurtre de la femme et des enfants de Macduff, Tynan s’enquiert auprès du réalisateur au sujet de la quantité de sang qu’est censé perdre un petit garçon poignardé dans le dos. Polanski lui répond faiblement : "Tu n’as pas vu ma maison de Californie l’été dernier. Je m’y connais en sang." C’est la seule allusion au drame de Bel-Air que fera Polanski pendant le tournage. Néanmoins, Tynan observera une coïncidence incroyable, pendant la préparation d’une autre scène de meurtre d’enfants. Polanski explique à une petite fille de quatre ans, avec beaucoup de tact et de grâce, qu’elle doit s’étendre et faire la morte pendant qu’il lui met de la peinture rouge sur son visage. En lui demandant son prénom, elle lui répond qu’elle s’appelle Sharon.


Film au budget très limité et non académique (ce que ne lui ont pas pardonné certains critiques malgré la fidélité du cinéaste à l’imagerie shakespearienne), c’est avant tout un spectacle visuel auquel contribuent les paysages gallois et du Northumberland. Mais ce cadre qui connaît des conditions météorologiques épouvantables, a rendu le tournage cauchemardesque, ce qui transparaît à l'écran. Chaque séquence est le résultat d'un travail énorme. Le véritable bourbier accessible qu’en véhicules tout-terrain pour le décor extérieur sera quand même utilisé, le sol détrempé conférant davantage de réalisme comme dans la scène de bataille au début. Le budget est vite dépassé ; c’est un film qui contient beaucoup d’effets spéciaux, des costumes, des maquillages, un grand nombre d’acteurs, de figurants, des animaux, des cascades (d'ailleurs, le combat final est époustouflant de brio), etc. Aussi, le tournage prend du retard dû au perfectionnisme de Polanski. Tout cela créé évidemment des tensions avec la production. Mais lorsque l’on voit le résultat, on se dit que ça en valait largement la peine. Le film sera finalement bouclé en vingt-quatre semaines, et sortira d’abord aux États-Unis où il sera très mal accueilli. Même s’il sera mieux compris en Angleterre, il demeurera un échec commercial. L’origine des capitaux (il est produit en grande partie par Hugh Hefner et la société Playboy) a pu nuire à la réception du film, et certains critiques ont ironisé là-dessus. Mais Macbeth reste un film à découvrir impérativement.


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